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Romance de la luna / Romance de la lune, Federico García Lorca

Publié le par Elizabeth Robin

photo : © Juan Jose Bujidos

photo: © Juan Jose Bujidos

Romance de la luna (Romancero gitano)

La luna vino a la fragua

con su polisón de nardos.

El niño la mira mira.

El niño la está mirando.

En el aire conmovido

mueve la luna sus brazos

y enseña, lúbrica y pura,

sus senos de duro estaño.

Huye luna, luna, luna.

Si vinieran los gitanos,

harían con tu corazón

collares y anillos blancos.

Niño, déjame que baile.

Cuando vengan los gitanos,

te encontrarán sobre el yunque

con los ojillos cerrados.

Huye luna, luna, luna,

que ya siento sus caballos.

Niño, déjame, no pises

mi blancor almidonado.

El jinete se acercaba

tocando el tambor del llano

Dentro de la fragua el niño,

tiene los ojos cerrados.

Por el olivar venían,

bronce y sueño, los gitanos.

Las cabezas levantadas

y los ojos entornados.

¡Cómo canta la zumaya,

ay cómo canta en el árbol!

Por el cielo va la luna

con un niño de la mano.

Dentro de la fragua lloran,

dando gritos, los gitanos.

El aire la vela, vela.

El aire la está velando.

Romance de la lune

La lune vint à la forge

dans son jupon de nards.

L'enfant la regarde, regarde,

L'enfant est là qui la regarde.

Et dans les airs commotionnés

la lune étire ses bras

et montre, lubrique et pure,

ses seins de dur étain.

Lune, lune, lune va-t-en !

Car si venaient les gitans,

ils feraient avec ton cœur

colliers et bagues d’argent.

- Enfant, laisse-moi danser,

Et lorsque viendront les gitans

Ils te trouveront sur l'enclume

avec tes petits yeux fermés.

Lune, lune, lune va-t-en !

Déjà j'entends leurs chevaux.

- Laisse-moi, enfant, ne froisse pas

ma blancheur amidonnée.

Le cavalier se rapprochait,

faisant sonner le tambour,

le grand tambour de la plaine

et, dans la forge, l'enfant

a ses petits yeux fermés.

Par les champs d'oliviers viennent

- bronze et rêve - les gitans,

la tête très haut levée

et les yeux mi-clos.

Comme chante la chouette-effraie,

comme elle hulule sur l'arbre !

A travers le ciel chemine

la lune avec un enfant

qu'elle emmène par la main.

Et dans la forge, pleurent

En criant, les gitans.

L’air la veille, la voile,

L’air l’a voilée.

Jean Ferrat chante Aragon, un bel hommage à Lorca, "le rossignol andalous"

Un jour un jour

Tout ce que l'homme fut de grand et de sublime

Sa protestation ses chants et ses héros

Au-dessus de ce corps et contre ses bourreaux

A Grenade aujourd'hui surgit devant le crime

Et cette bouche absente et Lorca qui s'est tu

Emplissant tout à coup l'univers de silence

Contre les violents tourne la violence

Dieu le fracas que fait un poète qu'on tue

[Refrain] : Un jour pourtant, un jour viendra couleur d'orange

Un jour de palme, un jour de feuillages au front

Un jour d'épaule nue où les gens s'aimeront

Un jour comme un oiseau sur la plus haute branche

Ah je désespérais de mes frères sauvages

Je voyais, je voyais l'avenir à genoux

La Bête triomphante et la pierre sur nous

Et le feu des soldats porte sur nos rivages

Quoi toujours ce serait par atroce marché

Un partage incessant que se font de la terre

Entre eux ces assassins que craignent les panthères

Et dont tremble un poignard quand leur main l'a touché

[Refrain]

Quoi toujours ce serait la guerre, la querelle

Des manières de rois et des fronts prosternés

Et l'enfant de la femme inutilement né

Les blés déchiquetés toujours des sauterelles

Quoi les bagnes toujours et la chair sous la roue

Le massacre toujours justifié d'idoles

Aux cadavres jetés ce manteau de paroles

Le bâillon pour la bouche et pour la main le clou.

[Refrain]

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Á une passante, Charles Baudelaire

Publié le par Elizabeth Robin

© Juan Jose Bujidos

© Juan Jose Bujidos

Deux poèmes de Baudelaire, d'une grande beauté et d'une grande justesse . Elizabeth Robin

 

Á une passante

Extrait de "Les Fleurs du Mal"

La rue assourdissante autour de moi hurlait. Longue, mince, en grand deuil, douleur majestueuse, Une femme passa, d'une main fastueuse Soulevant, balançant le feston et l'ourlet ;

Agile et noble, avec sa jambe de statue. Moi, je buvais, crispé comme un extravagant, Dans son œil, ciel livide où germe l'ouragan, La douceur qui fascine et le plaisir qui tue.

Un éclair... puis la nuit ! - Fugitive beauté Dont le regard m'a fait soudainement renaître, Ne te verrai-je plus que dans l'éternité ?

Ailleurs, bien loin d'ici ! trop tard ! jamais peut-être ! Car j'ignore où tu fuis, tu ne sais où je vais, Ô toi que j'eusse aimée, ô toi qui le savais !

Les Petites Vieilles (Les Fleurs du Mal)

Á Victor Hugo

I

Dans les plis sinueux des vieilles capitales, Où tout, même l'horreur, tourne aux enchantements, Je guette, obéissant à mes humeurs fatales Des êtres singuliers, décrépits et charmants.

Ces monstres disloqués furent jadis des femmes, Éponine ou Laïs ! Monstres brisés, bossus Ou tordus, aimons-les ! ce sont encor des âmes. Sous des jupons troués et sous de froids tissus

Ils rampent, flagellés par les bises iniques, Frémissant au fracas roulant des omnibus, Et serrant sur leur flanc, ainsi que des reliques, Un petit sac brodé de fleurs ou de rébus ;

Ils trottent, tout pareils à des marionnettes ; Se traînent, comme font les animaux blessés, Ou dansent, sans vouloir danser, pauvres sonnettes Où se pend un Démon sans pitié ! Tout cassés

Qu'ils sont, ils ont des yeux perçants comme une vrille, Luisants comme ces trous où l'eau dort dans la nuit ; Ils ont les yeux divins de la petite fille Qui s'étonne et qui rit à tout ce qui reluit.

- Avez-vous observé que maints cercueils de vieilles Sont presque aussi petits que celui d'un enfant ? La Mort savante met dans ces bières pareilles Un symbole d'un goût bizarre et captivant,

Et lorsque j'entrevois un fantôme débile Traversant de Paris le fourmillant tableau, Il me semble toujours que cet être fragile S'en va tout doucement vers un nouveau berceau ;

A moins que, méditant sur la géométrie, Je ne cherche, à l'aspect de ces membres discords, Combien de fois il faut que l'ouvrier varie La forme de la boîte où l'on met tous ces corps.

- Ces yeux sont des puits faits d'un million de larmes, Des creusets qu'un métal refroidi pailleta... Ces yeux mystérieux ont d'invincibles charmes Pour celui que l'austère Infortune allaita !

II

De Frascati défunt Vestale enamourée ; Prêtresse de Thalie, hélas ! dont le souffleur Enterré sait le nom ; célèbre évaporée Que Tivoli jadis ombragea dans sa fleur,

Toutes m'enivrent ; mais parmi ces êtres frêles Il en est qui, faisant de la douleur un miel Ont dit au Dévouement qui leur prêtait ses ailes : Hippogriffe puissant, mène-moi jusqu'au ciel !

L'une, par sa patrie au malheur exercée, L'autre, que son époux surchargea de douleurs, L'autre, par son enfant Madone transpercée, Toutes auraient pu faire un fleuve avec leurs pleurs !

III

Ah ! que j'en ai suivi de ces petites vieilles ! Une, entre autres, à l'heure où le soleil tombant Ensanglante le ciel de blessures vermeilles, Pensive, s'asseyait à l'écart sur un banc,

Pour entendre un de ces concerts, riches de cuivre, Dont les soldats parfois inondent nos jardins, Et qui, dans ces soirs d'or où l'on se sent revivre, Versent quelque héroïsme au cœur des citadins.

Celle-là, droite encor, fière et sentant la règle, Humait avidement ce chant vif et guerrier ; Son œil parfois s'ouvrait comme l’œil d'un vieil aigle ; Son front de marbre avait l'air fait pour le laurier !

IV

Telles vous cheminez, stoïques et sans plaintes, A travers le chaos des vivantes cités, Mères au cœur saignant, courtisanes ou saintes, Dont autrefois les noms par tous étaient cités.

Vous qui fûtes la grâce ou qui fûtes la gloire, Nul ne vous reconnaît ! un ivrogne incivil Vous insulte en passant d'un amour dérisoire ; Sur vos talons gambade un enfant lâche et vil.

Honteuses d'exister, ombres ratatinées, Peureuses, le dos bas, vous côtoyez les murs ; Et nul ne vous salue, étranges destinées ! Débris d'humanité pour l'éternité mûrs !

Mais moi, moi qui de loin tendrement vous surveille, L’œil inquiet, fixé sur vos pas incertains, Tout comme si j'étais votre père, ô merveille ! Je goûte à votre insu des plaisirs clandestins :

Je vois s'épanouir vos passions novices ; Sombres ou lumineux, je vis vos jours perdus ; Mon cœur multiplié jouit de tous vos vices ! Mon âme resplendit de toutes vos vertus !

Ruines ! ma famille ! ô cerveaux congénères ! Je vous fais chaque soir un solennel adieu ! Où serez-vous demain, Èves octogénaires, Sur qui pèse la griffe effroyable de Dieu ?

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